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LA SEQUENCE DE TIR

 

"L'art du tir à l'arc ne consiste nullement
à poursuivre un résultat extérieur avec un arc et une flèche,
mais uniquement à réaliser quelque chose en soi-même."
(E. Herrigel, 1970)

 

ST 1

 
Il serait infiniment prétentieux de ma part d'essayer de décrire ici "une méthode" de tir à l'arc instinctif. Tant d'autres maîtres d'armes ou champions l'ont fait ou le feraient bien mieux que moi.
Pourtant en cherchant dans la littérature existante ou sur la toile, on trouve de tout et de rien, et surtout autant de méthodes de tir que d'auteurs. Et en fin de compte, l'apprentissage du tir à l'arc se fait le plus souvent auprès de quelqu'un, un peu comme au temps jadis des grands Maîtres, qui pourra vous transmettre les connaissances nécessaires à l'apprentissage. Rappelez vous toutefois qu'...

" Un enseignant n'est jamais un donneur de vérité;
il s'agit d'un guide, de quelqu'un qui montre un chemin vers la vérité
que chaque élève doit trouver par lui-même."
(Bruce Lee)

 

Mon seul objectif est d'essayer de présenter une vision, une perception de la chose, de donner quelques pistes qui me permettent de progresser chaque jour dans cet art, mais surtout qui me permettent de faire progresser les débutants que j'ai la chance d'entraîner. Ce sont eux qui sont à l'origine du questionnement permanent qui m'anime aujourd'hui. Comment pourrais-je transmettre à un débutant les notions de base qui lui permettront d'avancer dans cette discipline en trouvant chaque jour autant de satisfaction et de plaisir qu'il m'est donné de vivre à chaque flèche?
Puissent ces quelques lignes les aider dans leur parcours.
Mais de grâce, ayez toujours en tête ce qui suit:

 

"Il ne faut pas avoir d’œillères et
penser qu'il n'y a qu'un chemin."
(Nébi Vural)

 

Il faut par ailleurs garder à l'esprit que les aspects techniques ne sont qu'une petite partie de l'exercice du tir à l'arc, et que pour progresser il est nécessaire de faire une réelle introspection pour trouver le chemin qui mène à la voie de l'arc. C'est là que chacun devra trouver ses propres réponses, emprunter seul le sentier au travers de la pratique, armé de son arc, de patience et de persévérance.

 

"il est important de trouver une harmonie dans l'exercice du tir à l'arc.
Une harmonie avec soi-même, tant avec son corps qu'avec son esprit.
Il faut pour cela conduire une vraie réflexion sur soi-même
et trouver la voie spirituelle qui accompagne l'acte du tir."

 
Préambule

 

Le tir à l'arc instinctif est simple et c'est la seule chose qu'il faut toujours avoir en tête. Il est important d'éviter à tout prix de se compliquer la vie. La longue explication qui suit semble pourtant montrer le contraire et faire penser que tirer une flèche est très compliqué. Ce qui est souvent compliqué pour l'homme, c'est de faire simple !!!

 

"Tout superflu doit être ôté
et droit au but doit être le maître mot.
(A. Mamy-Rahaga)

 

Ce qui est certainement compliqué c'est de tenter d'expliquer ce qui se passe entre l'arrivée de l'archer sur le pas de tir et l'impact de la flèche en pleine cible, soit un intervalle d'environ 15 secondes. Une éternité...durant laquelle il s'en passent des choses!

 

"Il ne faut pas confondre simplicité et facilité."

 


Une séquence de tir de 16 secondes en vidéo
(Vidéo: iPhone, Cédric Wolter)

 

 

1.Etat d'esprit et échauffement

 

Avant de commencer une séance de tir à l'arc, il faut se préparer, préparer son corps et son esprit.
Les muscles seront chauffés par une série d'exercices (voir page échauffement) mettant en mouvement les muscles de tir (muscles du dos, de la ceinture, des épaules et des poignets).
Les mouvements doivent être réalisés de façon lente et calme. Il est important de s'échauffer en douceur. On ne va pas courir un 100m!
Quant à l'esprit, il doit se préparer également.
Il est important de se détacher des choses et des pensées du quotidien pour se focaliser sur le tir à l'arc.
Sur le chemin du lieu d'entraînement déjà, il est important de se conditionner au tir à l'arc. Laisser les tracas de côté et apaiser son esprit vous permettra d'être plus réceptif et améliorera la concentration.

 

"Il faut trouver le calme et l'apaisement de l'esprit"

 

 

ST 2

 

Ce détachement, source de concentration est en grande partie atteint grâce à la respiration.
Pendant l'échauffement, il est nécessaire de respirer calmement et se détendre, tant physiquement par des exercices réalisés de façon douce, que psychiquement par une prise de conscience de l'instant présent.
Il est nécessaire de laisser filer les pensées (comme dans la méditation), sans qu'elles ne s'accrochent, à la manière des nuages qui défilent dans le ciel.
On se trouve alors dans un état passif de pleine conscience propice à la concentration
(voir le chapitre respiration en fin de page).

 

"La concentration doit être aussi droite que la flèche"
(M. Coquet)

 

La séquence de tir, du positionnement sur le pas de tir à l'impact de la flèche en cible est rythmée par la respiration.
Je l'indiquerai au fur et à mesure de la description.
Gardez à l'esprit que cette séquence doit être harmonieuse et fluide et qu'elle ne dure que le temps de trois expirations...

 

 

2.Comment se placer devant la cible

 

"Les pieds doivent s'ancrer dans le sol,
la tête doit s'étirer vers le ciel,
le corps doit être dans un état de relâchement musculaire total."

 

Il existe plusieurs positions de tir à l'arc.
Chaque archer adapte sa façon de se positionner sur un pas de tir en fonction de sa morphologie ou de son habitude prise au fil du temps.
L'important est de trouver une position stable et détendue, qui soit toujours la même. C'est un repère fondamental pour espérer progresser efficacement.
En effet la régularité du tir passe par la régularité de la position du corps.
Bon nombre d'archers ne prennent pas assez conscience de cet élément et leur tir est irrégulier, avec des flèches éparpillées sur la cible sans raisons apparentes...

 

"En tir instinctif, on "vise" avec tout le corps."

 

ST 3

 

Le positionnement des deux pieds face à la cible est fondamental. Il doit être effectué avec soin, au millimètre près.
Pour ma part j'utilise une position des pieds perpendiculaire à la ligne de tir (en blanc sur le schéma) appelée position droite.

 

ST 4

 

La perpendiculaire est en effet assez facile à trouver car nous percevons bien cette notion dans l'espace.
De plus c'est une position qui est naturelle, sans effort aucun et facilement reproductible d'une séquence de tir à une autre.
On garde ainsi un premier repère très fiable et reproductible pour que le corps et surtout le cerveau "calent" une position de base en référence.
Avec le temps, cela devient une habitude et la perception de la bonne position est assez immédiate.
 
Les pieds sont écartés juste sous les épaules afin de donner la meilleure stabilité possible.
Trop écartés, le corps aura tendance à osciller vers l'avant ou l'arrière.
Trop serrés, c'est la stabilité latérale qui fera défaut. A chacun de trouver son bon équilibre.
L'essentiel est d'apporter un soin particulier à cette étape, de bien s'ancrer au sol (s'enraciner), de se sentir stable et pouvoir garder cette position pendant toute la série de flèches.
Cette position ne doit en aucun cas être modifiée pendant la série de tir.

 

"Léger et agile,
le corps entier est bien centré,
sans pencher ni d'un côté ni de l'autre."
(Gregorio Manzur)

 

Concentrez-vous quelques instants (le temps d'une respiration) sur la plante des pieds. Sentez-la au contact du sol.
Imaginez que de la plante des pieds poussent de longues racines qui s'enfoncent dans la terre.
Les tensions du corps pénètrent la terre et s'évanouissent...
La notion d'enracinement est fondamentale dans la pratique des arts martiaux, mais également dans de nombreux sports instinctifs (golf, basket, tennis, baseball, football).
En effet la qualité du positionnement des pieds détermine inexorablement la suite des mouvement et la réussite du geste final.

"Debout, entre la Terre et le Ciel,
nous sommes conscients, bien plantés sur les deux jambes,
avec l'agréable sensation d'être fort et solide comme la montagne"

 

Chaque mouvement est enraciné dans les pieds, base de notre verticalité et de notre équilibre.
La sensation d'équilibre apporte confiance en soi, stabilité et équilibre mental.

 

"L'enracinement est source d'harmonie entre le corps et l'esprit"

 

ST 5


Cette position perpendiculaire des pieds, combinée à la position de l'arc au début du mouvement (voir plus loin), permet d'obtenir assez facilement une régularité latérale dans le tir.
Restez bien droit, ni penché à droite ni penché à gauche, ni en avant ni en arrière.
Il est important de garder la colonne bien droite et de la tendre sans efforts excessifs.
Le bas du bassin est légèrement incliné vers l'avant. On dit que l'on "s'assoit" légèrement dans le bassin. Cette posture vérouille le bas du corps et augmente la stabilité.
La posture doit être naturelle, détendue. Pourtant le corps doit rester tonique, la musculature légèrement tendue.
Quel paradoxe!
Tout est question de feeling.
Les épaules sont relâchées, le plus bas possible, les bras ballants le long du corps.
La tête touche le ciel, les deux yeux restent ouverts et le regard porte au loin, droit devant.
Les oreilles doivent être dans le même plan que les épaules, le nez sur la ligne verticale du nombril.
La pointe de la langue est collée au palais à la base des incisives.
La bouche est fermée et les dents se touchent, sans pression aucune.
Il est important d'être souple et concentré.
Les épaules sont détendues, le corps sans aucune tension interne.
Cette position va permettre de libérer le "Qi", le souffle de vie, l'énergie vitale.
 
Cette phase de préparation est rythmée par une première profonde (mais non forcée) respiration et initie la phase de concentration.
Lors de l'expiration, pensez à bien détendre l'ensemble du corps et laisser tomber les épaules le plus bas possible.
Vous devez ressentir une sensation de bien être général.
Ainsi la posture et la respiration agissent de concert dans le tir de la flèche.
 
Cette posture calme et détendue doit être maintenue tout au long de la séquence de tir.
Il est important d'éviter tout mouvement parasite, autres que ceux imposés par le déclenchement.
Ceci est bien visible sur la vidéo ci dessous ou la séquence de tir est présentée au ralenti.
On remarquera la stabilité de l'archer tout au long de son mouvement.
Rappelez-vous qu'il faut faire simple pour être efficace. Il est donc important d'éviter tout mouvement inutile au tir.

 

 

Vidéo montrant l'immobilité du corps
(Vidéo: iPhone, Cédric Wolter)

 

 

3.Comment tenir l'arc ?

 

L'arc se tient avec la main gauche pour le droitier (l'inverse pour le gaucher!).
On définit ainsi la main d'arc.
La poignée doit être maintenue avec la main fermée, sans crispation ni force, juste fermée.
La pression de la poignée doit s'exercer à l'intérieur de l'enclave du pouce et de l'index.

ST 6
ST 7

Les 3 ou 4 premiers doigts touchent la poignée, l'auriculaire flotte dans le vide.
L'axe des nodules des doigts doit former un angle de 45° avec l'axe vertical de l'arc.

 

ST 8

Il est inutile de serrer avec force.
La poignée d'arc doit être maintenue comme si l'on serrait un oeuf frais dans la main.
Le tir à l'arc instinctif étant une affaire de calme et de détente, "essorer" la poignée serait contreproductif, source de tensions autant dans l'avant bras et les doigts de la main que dans l'esprit.
 
Pour un arc recurve bowhunter, le poignet reste dans le prolongement de l'avant bras.
Pour un arc longbow, le poignet est cassé" vers le haut formant un angle avec l'avant-bras.

 

ST 9

ST 10


Si l'arc ne possède pas de repose flèche ou de plateau, et que la flèche passe sur le haut du pouce (cas des longbows sans plateau), il est préférable de se protéger avec un gant de main d'arc.
Dans tous les cas la ligature des plumes sur le fût de la flèche est indispensable afin d'éviter un douloureux accroc avec une pointe de plume décollée.
 
Le coude lui est légèrement fléchi vers l'extérieur.
Un coude trop tendu (*) est préjudiciable pour plusieurs raisons:
- une extension complète et forcée du membre entraine des tensions dans tous les muscles jusque dans la main et l'épaule, source de fatigue musculaire inutile.
- l'articulation du coude est en butée, ce qui n'est pas souhaitable car le choc et les vibrations de la décoche se répercutent sur l'articulation.
- Lors du déclenchement, la corde viendra inévitablement taper sur l'intérieur de l'avant-bras avec les conséquences douloureuses que tous les débutants connaissent malheureusement.
Un avant bras légèrement fléchi absorbera mieux le choc et les vibrations de la décoche, ce qui améliore la stabilité du tir.
 
(*) Cette position est due en partie à la crispation du poignet sur la poignée d'arc (on essore la poignée) ce qui tend l'ensemble des muscles du membre.

 

ST 11

 

 

4.Encocher la flèche

 

Ce geste peut paraître anodin de prime abord.
Mais il ne l'est pas ou plutôt il peut ne pas l'être et apporter beaucoup à la suite du mouvement.
En effet pour ma part c'est un moment de grande concentration "respiratoire".
Afin de préparer "l'encochage", et pour autant que la place entre les archers le permette, le poignet d'arc présente l'arc à l'horizontale, le devant de celui-ci pointé vers la cible (la flèche le sera ainsi également).
Le regard et la main de corde vont chercher la flèche choisie dans le carquois.
C'est l'instant que je choisis pour démarrer une profonde respiration.

 

ST 12

 

Certains archers saisissent la flèche par le nock. Ils devront par la suite déplacer leurs doigts pour voir le nock et encocher.
Pour ma part je la saisis sous les plumes, ce qui me permet de la manipuler plus facilement.
Je pose la flèche sur l'arc et la corde (qui sont tous deux horizontaux), tandis que je la fais rouler délicatement entre le pouce, l'index et le majeur afin de positionner la plume de coq (ici en rouge) en haut.
La flèche est alors prête à être accrochée à la corde par le nock en fin d'expiration.
 
Il est important de bien maitriser cette étape pour qu'elle soit aussi simple, rapide et fluide que possible.
En effet, une trop grosse perte de temps à ce moment fatigue mentalement l'archer ("cette satanée flèche qui ne veut pas s'accrocher...grr") et déconnecte trop longtemps le regard de la cible, ce qui nuit considérablement à la concentration.

 

ST 13


Cette deuxième phase de préparation est rythmée par une deuxième respiration et poursuit la phase de concentration.
En compétition ou en salle, il y a souvent moins de place entre les archers et il est donc nécessaire d'adapter cette position avec un arc tenu verticalement pour ne pas gêner ses voisins !

 

 

5) Comment saisir la corde ?

 

Afin de protéger les doigts, il est recommandé de porter un gant à trois doigts ou une palette.
Il existe plusieurs façons de placer les doigts sur la corde pour bander l'arc.
En tir instinctif, la méthode dite "méditerranéenne" est la plus couramment utilisée.
On place 3 doigts sur la corde, l'index au dessus de l'encoche, le majeur et l'annulaire dessous.
Les 2 autres (le pouce et l'auriculaire sont laissés légèrement pliés vers l'intérieur de la paume.
Il est important de ne pas pincer la flèche avec les doigts, ce qui a pour effet de faire pivoter la flèche horizontalement hors du repose flèche ou du tapis de flèche.
Si cela arrive, n'essayez pas de rattraper le coup par une quelconque manœuvre pour rabattre la flèche sur le repose flèche. Vous gaspillerez de l'énergie pour rien. Annulez simplement tout votre mouvement et repartez de zéro.
Ce sera plus simple, efficace et moins stressant.
Pour éviter de pincer la flèche, il faut espacer un petit peu les doigts de chaque côté de l'encoche. Pas trop mais juste de quoi éviter de toucher le nock avec le gant.
La corde peut être placée à plusieurs endroits et c'est une question qui divise les archers. La position dépendra donc de chacun, mais surtout de la puissance de l'arc.
Placée au milieu de la deuxième phalange, la prise sera ferme et efficace. Le déclenchement un peu plus laborieux si la corde roule sur les doigts.
Placée sur l'articulation entre les deux dernières phalanges, la corde est bien enfoncée et aura plus de mal à quitter la main lors du déclenchement.
Placée sur la pulpe de la dernière phalange, la prise est plus fragile et la corde partira plus facilement mais cela ne conviendra pas aux arcs puissants.
Tout est donc question de feeling.
L'essentiel est que le déclenchement puisse être le plus spontané possible et que la corde ne soit animée d'aucun mouvement parasite latéral qui augmente le paradoxe de la flèche en vol.
 
Remarque: La prise de corde à 3 doigts sous la flèche est également utilisée et autorisée en compétition pour autant que l'index touche la flèche. Cependant lorsque cette prise de corde est alliée à un ancrage "très" haut placé sur le visage, la flèche est juste sous l'oeil et on s'approche inévitablement du tir barebow visé, ce qui fait polémique...

 

 

 

 

Si la flèche marsouine trop latéralement en vol, il est fort à parier que le déclenchement n'a pas été parfait! Il faudra alors chercher à améliorer ce point en agissant sur la prise de corde et le déclenchement.

 

 

6) La posture de départ

 

A ce stade, la phase de préparation du tir s'achève, ou presque. L'archer se retrouve prêt à effectuer son tir.
Encore faut-il savoir où tirer!
 
Il faut maintenant identifier le plan vertical qui passe par l'arc et la cible.
Pour ma part, je verrouille la cible du regard, je repose la branche inférieure de l'arc sur le bord extérieur de la jambe et dirige l'arc et la flèche vers la cible, bras légèrement fléchi.
Ma main d'arc et ma main de corde se trouvent dans le plan vertical du vol de la flèche.
C'est ma posture d'attente ou de départ. Dès cet instant je ne quitte plus le centre du centre du centre de la cible des yeux.
Cette troisième phase de préparation est rythmée par une troisième respiration et poursuit la phase de concentration.

 

 

7) Regarder la cible avec les deux yeux

 

Si vous tirez à la carabine, vous savez que pour viser il faut aligner l’œil, les instruments de visée (le guidon et la hausse) et le visuel de la cible. La seule façon d’y arriver correctement est de fermer l’œil non directeur. Nul besoin de la vision binoculaire pour cela.
Pour faire simple, l’alignement se fait sans utiliser la notion de relief ou de distance. Le tireur fera correspondre la ligne de mire (entre les deux instruments de visée) et la ligne de visée (entre l’œil et la cible).
 
Par contre lorsque vous jouez à la pétanque, vous regardez le cochonnet avec les deux yeux grands ouverts !
Dans ce cas, vous avez grandement besoin des repères spatiaux donnés par la vision binoculaire, ce qui vous permet d’évaluer le relief des choses et par là même la distance.
Le tir à l’arc instinctif se pratique ainsi, les deux yeux grands ouverts rivés sur la cible.
Dans le tir instinctif, on ne regarde pas la flèche pour s'aider dans une quelconque tentative de visée.
Le regard est verrouillé sur un détail minuscule du centre de la cible (le trou d'une flèche antérieure par exemple).
Pour convaincre les débutants, le premier exercice que je leur propose est extrêmement simple.
Je leur donne deux balles de tennis et les place à 3 m d’une poubelle avec pour mission de lancer les balles dans celle-ci.
La première balle, c’est pas si simple !
Dès la deuxième, elle est dedans !
La vision binoculaire et la capacité de correction du cerveau a fait la différence.
Je leur demande ensuite de refaire l’exercice avec un œil fermé !
Et là les choses se corsent. Pas simple du tout, même à trois mètres.

 

 

8) Mise en tension de l'arc: l'armement

 

Afin d'emmagasiner l'énergie qui propulsera la flèche, il faut mettre en tension l'arc en procédant simultanément à deux actions antagonistes:
- pousser sur la poignée vers l'avant
- tirer sur la corde vers l'arrière
C'est le principe du pousser-tirer.

Les muscles du dos (trapèzes,...) travaillent de concert pour mettre en tension l'arc jusqu'à la pleine allonge.
La main d'arc va pousser sur la poignée et monter en cible, la main de corde va rejoindre le point d'ancrage.
Ces deux mouvements se font simultanément, les deux mains restant toujours bien alignées dans le plan vertical de la cible.
A mesure que la main d'arc monte sur la cible, les doigts se relâchent.
La pression de la poignée d'arc ne s'exerce plus qu'à l'intersection du pouce et de l'index.
Le coude lui effectue une rotation légère vers l'extérieur afin de libérer la trajectoire de la corde et d'éviter à celle-ci de claquer sur l'intérieur de l'avant-bras (ouille!).
Le coude part vers l'arrière dans le prolongement de l'axe du bras et de la flèche.

 

 

ST 14

ST 15

Position du coude bien dans l'axe de la flèche avant la décoche .. et après le déclenchement.
 
Ce mouvement doit être rythmé (effectué à un rythme constant) et synchronisé pour que chaque main atteigne son but au même moment.

 

"L'esprit qui anime l'archer doit être serein, apaisé et silencieux, calme et détaché.
La gestuelle doit être simple et pure."

 

Comment savoir quand on est dans la cible? Vaste sujet!
L'homme est ainsi fait qu'il a la faculté de placer sa main là où se pose son regard!
Si le verrouillage de la cible par le regard a été efficace, la main s'arrêtera là ou il faut!
Et c'est là qu'il ne faut plus attendre! Déclencher le tir sans penser!
Si le geste n'est pas coordonné, que la main d'arc est prête en cible avant la main de corde et qu'elle attend trop longtemps le feu vert, elle perdra le fil.
...Si c'est l'inverse, la main de corde fatigue et le déclenchement sera mauvais.
Lors de ce mouvement, le poignet d'arc effectue une légère rotation vers l'intérieur afin d'incliner un peu l'arc.
Cette position décale légèrement la branche supérieure de l'arc du champ de vision et ouvre un peu la fenêtre visuelle pour mieux voir la cible.

 

ST 16

ST 17


Pour ce qui est de la respiration, la séquence d'armement commence par une inspiration.
Le pousser-tirer ne débute que lors de l'expiration.
Le mouvement durera toute l'expiration, le déclenchement n'interviendra quant à elle qu'en toute fin d'expiration.

 

 

9) L'ancrage

 

L'ancrage est un moment délicat et fondamental de la phase de tir. La position de la main à l'ancrage est personnelle, mais il est important qu'elle soit toujours la même.
Il est ainsi important de trouver son propre point de repère.
De savants calculs indiquent que 5 à 10 centimètres de décalage vertical en cible correspondent à quelques millimètres de décalage du point d'encrage (voir l'article Pour la science No 323) !
Pour ma part, l'extrémité du majeur (pour d'autres archers c'est l'index) vient toucher franchement la commissure de la bouche. c'est l'ancrage!
Un bon ancrage permet de stabiliser la position avant le déclenchement.
Ce moment doit durer 1 à 1,5 seconde, guère plus.
Au delà de cette durée, le regard va peu à peu apercevoir la flèche, puis l'arc et la main. la concentration sur la cible est perdue...

 

ST 18

 

 

10) La position de la tête

 

La position de l'axe vertical de la tête doit suivre l'axe vertical de l'arc.
La vision binoculaire sera ainsi toujours la même par rapport à l'axe de vol de la flèche.
Cette notion est importante et diminue l'erreur de parallaxe.

 

 

ST 19

L'axe de la tête suit l'axe vertical de l'arc.

 

 

ST 20

 

 

11) Le déclenchement

 

"Quelque chose tire en vous" disait un grand maître.

 

Ce concept difficile à appréhender pour les occidentaux nous vient du Kyudo. Pourtant c'est un peu ce qui doit se passer lorsqu'on tire en instinctif.
Le cerveau coordonne la montée de la main d'arc en cible, la traction de la corde à l'ancrage et attend l'instant exact du déclenchement qui fera mouche.

 

"La flèche devra partir au moment où l'arc, l'archer et la cible
se trouveront alignés sur le même point de l'univers:
c'est ce qu'on appelle l'inspiration."
(Paolo Coehlo, La voie de l'archer, 2019)

 

La respiration rythme l'ensemble et l'harmonie du geste aboutit à cet instant "T".
Là, à ce moment précis, l'esprit en pleine conscience et sérénité, sans même y penser, sans aucune volonté, la flèche part.

 

Le mental est la clé de la réussite.
Le non agir n'est pas l'absence d'action,
mais au coeur de l'action nul n'est présent pour agir"
(M. Coquet)

 

Précipiter le déclenchement ou le museler, retenir le déclenchement trop longtemps, cet infime instant "instinctif" par essence, entraîne instantanément une hésitation (on perd le fil) et on ne sait plus où ni quand tirer!
Il y a fort à parier que cette flèche "forcée" ne soit pas parfaite...
Au moment du déclenchement, ayez à l'esprit que cet instant présent est ...

 

"un acte qui n'a jamais eu lieu dans l'histoire de l'Univers,
et qu'il n'aura plus jamais lieu."
(Gregorio Manzur)

 

Profitez pleinement de cet instant, ici et maintenant.
 
Quand intervient le déclenchement?
Il faut juste se faire confiance et tirer lorsqu'on sent que c'est le moment!
Le cerveau analyse tous les paramètres du tir et "ressent" lorsque tous les voyants sont au vert!

 

"Pour lâcher votre coup, ne pensez pas à ce que vous avez à faire,
apprenez à bien attendre et pour cela, libérez-vous de vous-même."
(Suzuki)

 

Lors du déclenchement, la main de corde reste le plus immobile possible vers le point d'ancrage.
Le coude reste bien dans le prolongement de l'axe de la flèche et du bras d'arc.

 

ST 15

La main de corde reste au contact du point d'ancrage,
le bras d'arc reste en cible.

 

Si la main recule ou éclate en l'air, le tir sera perturbé et la trajectoire modifiée.
Si par contre la main retient la corde ou l'accompagne, le tir sera amorti.
Il est donc important de ne pas "lâcher" la corde mais de la laisser partir. Tout est dans la nuance.
Les doigts doivent s'ouvrir progressivement en relâchant les muscles fléchisseurs des doigts de la main, laissant filer le plus délicatement la corde.
Si ce sont les muscles extenseurs des doigts qui ouvrent la main, l'ouverture dynamique des doigts imprimera irrémédiablement un mouvement latéral à la corde.

 

 

12) Accompagner la flèche: le maintien en cible

 

"Chaque flèche laisse une trace dans ton coeur
et c'est la somme de ces traces qui fera de toi un meilleur archer."
(Paolo Coehlo, La voie de l'archer, 2019)

 

De chaque vol de flèche, on doit chercher à apprendre quelque chose.
Pour cela il faut tout d'abord pouvoir suivre sa flèche du regard!
Le choix de plumes colorées est ainsi fondamental car se priver de cette information est une erreur.
Je vois souvent des archers avec de très belles flèches vertes, brunes ou noires. Dès l'envol la flèche disparaît pour n'être aperçue que sur la cible un instant plus tard.
Pourquoi se priver de son vol magnifique et de tout ce qu'il peut nous apprendre ?
Une fois la flèche partie, il est important de garder la position, comme figée, jusqu'à atteindre la cible.
Le regard suit la flèche jusqu'à l'impact.
Notre cerveau quant à lui, emmagasine les informations et aura bien plus de facilité à corriger le tir au prochain essai.
N'hésitez pas à exagérer cette étape qui permet de rester vigilant dans l'action.
Le corps et le mental forgent ainsi à chaque flèche leur propre mémoire interne du geste juste.

 

"Un geste juste est lié à une sensation agréable.
Notre corps possède en lui la mémoire de la posture juste."
(Nobuyoshi Tamura)

 

ST 21


Cette "pose" immobile permet également d'éviter que la main d'arc ne retombe prématurément, ce qui pourrait avoir comme effet, si cela arrive au moment du déclenchement, de modifier la trajectoire de la flèche.

 

"Quand un archer manque le centre de la cible,
il doit réfléchir et chercher la cause de l'échec en lui-même."
(Awa Kenzo)

 

C'est une fois la flèche en cible que le corps et l'esprit vont emmagasiner l'information, la traiter et effectuer les "réglages de correction".
Bien visible, cette étape ne doit pas être bâclée.
Il est important de prendre le temps (laisser le temps) d'intérioriser ce qui vient de se passer.
Il est nécessaire de digérer le tir avant de passer à la flèche suivante.
Ne vous précipitez pas dans votre carquois pour saisir une nouvelle flèche.
Prenez votre temps. Soyez zen, car:

 

"Celui qui se presse, perd son temps"
(Proverbe argentin)

 

Au niveau mental, il est important d'accueillir une belle flèche avec le même calme qu'une mauvaise. Si vous "exultez" à chaque belle flèche, et "ronchonnez à chaque mauvaise, votre mental joue au yoyo et cela ne vous apportera rien de bon. Accueillez-les toutes avec la même gratitude. C'est la source même de votre enseignement. Chaque flèche, bonne ou mauvaise, vous fera progresser sur la voie de l'arc.

 

 

13) La respiration

 

La respiration est un acte crucial dans le tir à l'arc car elle va permettre de lier, d'entrelacer l'intention et le geste, l'esprit et le corps.
Suite à l'inspiration (geste actif), l'expiration (geste de relâchement) apporte une sensation de bien être et de calme qui contribue grandement au calme et à la concentration, à l'apaisement mental.
 
Pour illustrer mon propos, prenez quelques instants pour imaginer la scène suivante:
Vous arrivez chez vous après une journée arrasante de travail. Vous vous affalez sur votre canapé en expirant. "pffffffff". Et là vous ressentez un bien être fou et tout votre être se relâche.
 
C'est à cet instant magique de détente totale que la décoche doit intervenir...
 
La respiration est très importante.
C'est le lien entre un corps éveillé et un esprit éveillé.
La respiration c'est "l'instant présent".

 

"L'observation de l'expiration permet
d'approfondir la concentration et d'apaiser le mental."
(Gregorio Manzur)

 

La fait de se concentrer sur la respiration permet de rythmer la séquence de tir et apporte calme, sérénité et fluidité aux mouvements.
Il faut être conscient de la respiration: inspirer et expirer en pleine conscience de ce geste.
On peut pour éviter la respiration inconsciente, "utilitaire", observer sa respiration (sans pour autant compter les inspirations ou expirations), juste focaliser son attention sur elle, en être bien conscient.>

 

Comment respirer?
 
Le souffle c'est la vie!
Respirer c'est se concentrer sur son corps, entrer en contact avec lui de l'intérieur.

 

La respiration est un moyen d'en apprendre un peu plus sur soi.

 

En quelques respirations profondes, vous pourrez accorder votre corps et votre esprit et entrer dans un état de bien être intérieur, à la base de la concentration.
 
La respiration abdominale.
La respiration thoracique est naturelle, mais insuffisante.
En la secondant par l'inspiration ventrale, on prolonge la durée de l'inspiration.
 
L'inspiration:
Inspirez lentement et profondément par le nez.
Remplissez d'abord les poumons par une inspiration thoracique, puis ventrale.
L'air rentre dans les poumons dans un premier temps grâce au muscles intercostaux puis grâce au diaphragme qui se contracte et descend en appuyant sur les intestins.
Cette inspiration doit être profonde (longue) mais doit rester naturelle (intensité), sans trop forcer.
Elle ne doit pas être réalisée trop énergiquement.
 
L'expiration:
Une fois l'inspiration terminée, et sans apnée, basculez tranquillement sur l'expiration en laissant ressortir l'air doucement, mais en contrôlant le flux de sortie en le freinant très légèrement, un peu comme en râlant.
L'expiration ainsi freinée va durer plus longtemps que l'inspiration.
On vide d'abord le bas vente en relâchant le diaphragme, puis les muscles des côtes.
Les épaules se détendent et descendent. L'ensemble des muscles se relâchent doucement, apportant un influx de bien être.
 
C'est le moment de la pleine conscience.

 

"La respiration abdominale apporte détente, relaxation, focalisation"
(Fabien L'Espagne, Dragon Magazine, HS no 10, nov. 2015)

 

A. Mamy-Rahaga fait allusion à une vague d'océan en parlant de la respiration.
Cette image me semble intéressante car facile à visualiser et à mettre en parallèle avec la respiration et en pratique.
Imaginez un instant que la respiration est l'aller et retour d'une vague sur la plage. Plutôt le retour et l'aller!
Lorsque la vague qui s'est étalée sur la plage redescend vers la mer, c'est l'inspiration.
Elle enfle et gonfle la vague suivante, la creuse. Les poumons s'emplissent d'air.
Au déferlement, l'expiration commence.
L'eau se déverse sur la plage avec un bruit similaire à l'expiration.
Et lorsque la vague s'arrête en haut de la plage.... on se trouve en fin d'expiration et il est temps de déclencher le tir!

 

"J'observe mes respirations.
Je les compte : un, deux, trois... dix.
Puis: neuf, huit, sept... zéro.
Mes expirations défont les nœuds de mon cerveau,
qui glissent sur moi comme des poussières d'étoiles,
elles arrivent à mes pieds et rentrent dans la terre.
Puis ce sont mes mains, ma poitrine, mon dos, mon visage
qui laissent se dissoudre les tensions
qui iront elles aussi vers la terre mère.
Lentement les battements du cœur se calment,
la vieille querelle contre les montres et horloges s'estompe peu à peu.
Les images défilent dans mon esprit
des nuages multicolores qui ne demandent que du libre espace pour s'envoler.
Et le moment arrive de cesser ce flux des pensées. Je suis seul. Seul."
(Gregorio Manzur)

 

ST 22


Voilà, la flèche est maintenant en cible.
Depuis le début de la phase de tir il ne s'est écoulé qu'une quinzaine de secondes!
Et pourtant, que de choses vécues intensément, en pleine conscience.
C'est ça le tir à l'arc instinctif!
Vivre intensément les secondes, les unes après les autres, dans l'instant présent.